Seizième édition de la Journée du Monde indien

13 juin 2024

EPHE-Raspail, Paris 6ᵉ

L’édition 2024 de la Journée du Monde Indien, la 3ᵉ sous l’égide du GREI et la 16ᵉ depuis la création de cet événement, s’est tenue le jeudi 13 juin à la Maison des Sciences de l’Homme (54 bvd Raspail, 75006 Paris). Elle fut organisée par Émilie Aussant et Véronique Kremmer.

Cette année, la JMI se voulait un événement scientifique tout autant que festif : ce fut l’occasion célébrer le passage à la retraite de Georges-Jean Pinault, directeur d’études à l’EPHE-PSL et membre du GREI. La JMI a donc réuni une partie de ses collègues et anciens élèves autour de thématiques qui représentent les multiples domaines de recherche de Georges-Jean Pinault, et qui en même temps reflètent l’immense diversité des études indiennes au sens large. Les intervenants nous ont emmenés dans des domaines aussi variés que la poétique de l’Atharvaveda, la tradition grammaticale sanskrite, la philologie tokharienne et bouddhique, ou encore la morphologie nominale du lydien. Ainsi, la JMI 2024 a constitué un véritable voyage à travers le temps, l’espace et les langues, des poètes védiques aux grammairiens indiens du 17ᵉ siècle, de l’Anatolie ancienne à travers l’Inde jusqu’au bassin du Tarim. 

La journée fut clôturée par la remise d’un cadeau à M. Pinault, suivie par un cocktail festif en son honneur. Nous remercions vivement les intervenants à la journée pour leurs contributions passionnantes, et le public d’être venu en si grand nombre.

L’affiche de l’événement >>

Photos prises par Fabienne Bagnis, Nalini Balbir et Jérôme Petit.

Programme détaillé et résumés des communications

Programme détaillé

  • 10h00 Accueil
  • 10h15 Vincent ELTSCHINGER (EPHE-PSL, directeur du GREI) : Ouverture de la journée
  • 10h20 Melanie MALZAHN (Universität Wien) : « Tocharien meter revisited »
  • 11h00 Romain GARNIER (Université de Limoges) : « La composition nominale en Lydien »
  • 11h40 Chams BERNARD (Universiteit Leiden) : « Du préfixeka– en indo-iranien »

12h20 Déjeuner-buffet : salle 15

  • 14h00 Athanaric HUARD (ludwig-Maximilians-Universität München) : « Qu’est-ce qu’un Bouddha ? La notion de *farnahdans les langues bouddhiques de l’Asie centrale »
  • 14h40 Carmen SPIERS (Universiteit Leiden) : « Agression ou séduction ? Sur le rituel de l’Atharvaveda

15h20 Pause : salle 15

  • 15h35 Émilie AUSSANT (USN) : « Un vieux thème à l’épreuve de nouveaux débats: l’autonymie par kauṇḍabhaṭṭa (Vaiyākaraṇabhūṣaṇasāraa,nāmārthanirṇaya)
  • 16h15 Nalini BALBIR (EPHE-PSL, USN) : Mots de clôture

17h00 Cocktail festif : salle 15

Melanie Malzahn (Université de Vienne): Tocharian meter revisited

Among the countless contributions to Tocharian studies that we owe to Georges-Jean Pinault is the impact and relevance of performing arts and techniques. It is certain that music and performing arts played an important role in Tocharian culture and literary tradition. Much of the evidence comes from metrical passages and the use of meter as a literary device as such. The paper will revisit the question of the background of Tocharian metrical tradition in the light and context of performing arts and cultural background. It will be argued that while music and performative arts, like literature itself, were part of the « Buddhist package » in Kucha, betraying its Indian roots, there seems to be a not-so-small element of cultural transformation of local traditions and other « Silk Road » cultural traits. No music-related term or performative trait seems to have been directly inherited from Proto-Indo-European, nor does the metrical tradition.

Romain Garnier (Université de Limoges): La composition nominale en lydien

La présente communication se propose de passer en revue la composition nominale en lydien, une langue anatolienne d’attestation fragmentaire. Seront d’abord étudiés les composés à rection verbale (RECTUM-REGENS) à valeur de noms d’agents (de genre animé), soit : [.]aarcras (< pré-lyd. *aara-acura [c.] « locataire », litt. : *« mangeur d’un domaine »), prafr(i) (< pré-lyd. *pira-áfar(i) [c.] « gérant du temple ; trésorier »), pír[.]šfantu (< pré-lyd. *píra-išfantu [c.] « acquéreur d’une maison »), šaw-kórf(i) (< pré-lyd. *šawa-kúrf(i) [c.] « qui dirige ses yeux vers ; gardien »), šaw-karpló [c.] (< pré-lyd. *šawa-karpal-wá [c.] « celui qui lève ses yeux vers ; gardien »), puis les noms d’action de genre neutre, du type aλidad (< pré-lyd. *aλa-ídad [nt.] « aliénation », cf. *fa⸗aλa-idẽn(i)– « transférer la propriété ») et qrifrid* (< pré-lyd. *qir-ífr-id [nt.] « prise de propriété ; bail »). Il sera ensuite fait état des tatpuruṣa de genre neutre [composés endocentriques], soit le type cẽqrad (< pré-lyd. *cẽ-qirad [nt.] « propriété accordée par lot »), cifsad (< pré-lyd. *cíw-asad [nt.] « offrande de grâce aux dieux »), et pré-lyd. *šar-padá [nt.] « position en hauteur ». Il existe un composé prépositionel : lyd. *anká [c.] « sarcophage » (< PA *en⸗noḱ-ā́ [c.] « contenant un cadavre »). L’étude se conclura par quatre composés onomastiques : lyd. *armãw(a)– [NP] (< pré-lyd. *arma-ẽnwa « égal au dieu Arma » [le dieu Lune]), ẽrplocim(i)‐* [NP] (< pré-lyd. *ẽnari-palw-áci-m(i)-, dérivé secondaire d’un composé *ẽnari-palwá- [NP] « gonflé de force »), kumlol(i)– [NP] (< pré-lyd. *kumidá-wal(i)– « Ἱερο-κλῆς ») et pakiwal(i)-* [NP] (< pré-lyd. *pakiwá-wal(i)– « Διονυσι-κλῆς »).

Chams Bernard (Université de Leyde): Le préfixe ka- en indo-iranien

Le préfixe ka– se retrouve dans un nombre limité de mots indo- iraniens, principalement pir. *kamarda– ‘tête’ (av. kamǝrǝδa– ‘tête (daévique)’, pers. kamāl ‘gueule, tronche’) et ses cognats indiens. Ces mots sont expliqués comme remontant à « was für » + substantif etc. (Bartholomae, s.v. kamǝrǝδa-, kapastay-). Partant de l’observation que *mr̥da– ne désigne point la tête, mais le cou, je suggère que ce préfixe dérive recto itinere du proto-indo-européen *km– ‘avec’, ici au sens de ‘à côté de’. La tête est ici ce qui est à côté du cou, et c’est cette désignation relativement peu flatteuse qui lui donne un sens négatif en avestique et en persan (mais le sens est neutre en bactrien, ce qui n’aurait guère pu arriver en partant d’un composé «quelle (sale) tête!»). Ainsi, il est permis de retrouver la trace du préfixe indo- européen *km– (lat. cum) en indo-iranien, ce qui n’avait point été fait jusqu’à présent.

Je propose dans cet exposé également la lecture spéculative d’un mot tokharien, kakwār* au sens non-établi mais désignant un aliment comme dérivant d’un mot bactrien inattesté *ka-xwar– lequel remonterait au proto-iranien et signifierait « (aliment) qui accompagne la nourriture ».

Athanaric Huard (LMU München): Qu’est-ce qu’un Buddha? La notion de *farnah des langues bouddhiques d'Asie centrale

L’un des traits les plus intéressants des langues bouddhiques d’Asie centrale réside dans l’introduction de la notion iranienne de *farnah « gloire, majesté ; prospérité » dans leur phraséologie, sans qu’un modèle indien clair ne soit identifiable. Ce terme est notamment utilisé en koutchéen sous la forme de l’emprunt perne dans la formule pañäktäññe perne « gloire du Seigneur Buddha », qui traduit bodhi, ainsi que pour désigner les quatre fruits de la sotériologie bouddhique (srota-āpanna, etc.). Cette utilisation est également attestée en khotanais, ce qui a conduit Bailey à proposer de traduire *farnah par « rang, dignité », sens qui ne serait attesté que dans la littérature bouddhique.

Cette contribution vise à explorer la phraséologie du terme perne en koutchéen en lien avec son emploi dans les textes bouddhiques sogdiens et khotanais et la conception de la bouddhéité qui la sous- tend. Nous montrons notamment que ce terme revêt une signification plus ample que celle communément admise jusqu’à présent, et qu’il introduit subtilement dans les textes bouddhiques des conceptions religieuses héritées de la culture iranienne. En raison de l’ancienneté et de la diversité des textes, le koutchéen se révèle être un témoin précieux du bouddhisme véhiculé par les bouddhistes iraniens au début de notre ère.

Carmen Spiers (Université de Leyde): Agression ou séduction? Sur le rituel de l’Atharvaveda

Si la distinction entre malédiction et charme de séduction est généralement claire dans les hymnes de l’Atharvaveda, les langages de la haine et de l’amour peuvent aussi se confondre. Nous présenterons ici le texte nouvellement édité et la traduction française d’un hymne de la Paippalādasaṃhitā qui semble ainsi brouiller les pistes. L’emploi du syntagme hastena abhi-marīmr̥śa– « caresser incessamment avec la main » le lie, d’une part, aux pratiques inquiétantes de certains démons et d’autre part à un récit du Jaiminīyabrāhmaṇa relatant la rencontre d’Indra avec la belle épouse d’un roi. S’ajoute à cela le fait que la personne à laquelle on s’adresse dans l’hymne est condamnée à la folie et à la perdition. En parallèle à cette analyse, on mettra en évidence certaines structures communes aux rites de séduction et de malédiction décrits dans le Kauśikasūtra, manuel rituel de l’Atharvaveda.

Émilie Aussant (USN): Un vieux thème à l’épreuve de nouveaux débats: l’autonymie par Kauṇḍabhaṭṭa (Vaiyākaraṇabhūṣaṇasāra, nāmārthanirṇaya)

Identifiée à date ancienne (cf. Aṣṭādhyāyī 1.1.68 : svaṃ rūpaṃ śabdasyāśabdasaṃjñā), l’autonymie a toujours constitué un thème important dans le discours des grammairiens du sanskrit. Mais ce phénomène « du mot qui se désigne lui-même » a également suscité l’intérêt d’autres théoriciens du langage de l’Inde ancienne, à juste titre : l’autonymie, c’est « le vertige qui guette, car c’est l’assise même sur laquelle repose le langage […] qui s’en trouve ébranlée. » (Authier- Revuz, Ces mots qui ne vont pas de soi – Boucles réflexives et non-coïncidences du dire, 2012 [1995] : 11).

Dans la section du Vaiyākaraṇabhūṣaṇasāra consacrée à l’objet du mot (nāmārthanirṇaya), Kauṇḍabhaṭṭa commente deux kārikā extraites des Vaiyākaraṇasiddhāntakārikā de Bhaṭṭoji Dīkṣita, relatives à l’autonymie. Il ne s’agit pas d’une simple glose : le grammairien du 17ᵉ siècle cherche avant tout à réaffirmer l’autorité des thèses développées au sein de l’école pāṇinéenne en réfutant des doctrines défendues dans d’autres cercles. L’occasion, pour nous, d’étudier les dimensions du phénomène autonymique autour desquelles les « nouveaux » débats se cristallisent.